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Yannick Rihs

En cas de doute, l’option la plus audacieuse

Depuis le début de l’année il est possible d’obtenir du beurre et de la poudre de cacao bio transformés en Suisse : auprès de Pronatec Production AG, à Beringen, SH. Yannick Rihs nous raconte comment un employé de commerce devient directeur d’une usine de transformation de cacao.

Tout a commencé à la fin de mon apprentissage. J’avais profité d’une très bonne formation, mais ne voyais pas mon avenir dans ce domaine. L’enseignement, par contre m’a toujours intéressé. J’ai décroché mon téléphone et demandé à l’école d’agriculture de Grangeneuve comment devenir enseignant chez eux : tu deviens agronome puis tu fais des cours de formateur pour adulte. Tu peux ensuite postuler. Deux options s’offraient à moi : EPF ou HES. En cas de doute, l’option la plus audacieuse : EPF. Et audacieux, ce sera.

Les études m’ont ouvert des perspectives nouvelles et l’enseignement ne fait plus partie de mes priorités, à ce moment-là. Mon avenir se dessinera dans l’industrie. La première question qui me fut posée lors de mon entretien d’embauche avec Calvin Grieder, alors CEO de Bühler AG à Uzwil : je vois que vous avez grandi à la ferme, savez-vous traire à la main ? l’affirmative a dû convaincre, car j’ai passé les deux années et demie suivantes à ces côtés comme assistant. Ce furent des années très riches en apprentissage, tant sur le plan du fonctionnement d’un grand groupe que sur celui des technologies de transformation agro-alimentaire.

Une aventure Africaine

Le Groupe était dans une phase d’expansion, notamment au niveau de l’Afrique. En Côte d’Ivoire une nouvelle représentation devait voir le jour. « Tu sais, notre Groupe est encore sous-représenté là-bas, tout est à faire », me disait-on. A nouveau : en cas de doute, l’option la plus audacieuse. Nous sommes partis, avec celle qui deviendra mon épouse, avec nos deux valises et une carte SIM locale et avons ouvert la représentation de Bühler AG en Afrique de l’Ouest. Le titre de ce portrait vient d’ailleurs de la phrase « im Zweifelsfall, das kühnere » qu’elle avait prononcée lorsqu’elle a décidé de m’accompagner en Côte d’Ivoire. Depuis, c’est notre devise.

La ceinture tropicale est un environnement très stimulant pour une botaniste et un agronome. En plus, bon nombre d’industries y sont encore naissantes. Il était donc possible de développer des process sur mesure pour les clients. Mais la plus grande découverte fut la chaîne de valeur du cacao. En Côte d’Ivoire et au Ghana, mais également au Cameroun, le cacao est un enjeu national et une culture de rente de première importance pour l’enrichissement des zones rurales.

L’Afrique de l’Ouest est un véritable vivier de savoir-faire en matière de transformation du cacao. Tous les acteurs mondiaux mais également nombre d’acteurs locaux sont présents avec leurs usines de transformation. Comme bon nombre de savoir-faire, il tend à se perdre lorsqu’il n’est pas partagé. Ce phénomène met en péril la compétitivité de l’Afrique de l’Ouest dans le domaine de la transformation. L’idée a donc germé de construire un centre de formation et d’innovation agro-alimentaire avec comme objectif de partager le savoir-faire existant et d’en créer du nouveau. Le lien suivant présente le projet : https://www.buhlergroup.com/content/buhlergroup/global/en/locations/Cote-dIvoire-Abidjan/cocoa-competence-center-abidjan.html.

Le cacao aux saveurs Suisses

Les 5 ans que nous nous étions fixés pour notre aventure africaine arrivaient à leur terme. Il était temps de faire des plans pour notre retour en Suisse. A ce moment-là, le département du cacao de Bühler AG était en ébullition : une entreprise active dans le commerce de cacao et des semi-finis bio a l’audacieux projet de construire une usine de transformation de cacao en Suisse. Vous avez dit audacieux ?

Le pionnier du cacao bio équitable en Suisse

Durant la première phase du projet, je travaillais comme technologue dans l’équipe d’ingénierie de Bühler AG. J’ai donc pu faire bénéficier le projet de toutes les connaissances que j’ai accumulées durant mes années en Afrique de l’Ouest. Mais le cacao réserve toujours des surprises et cette règle n’a pas fait défaut dans ce projet. D’une part, sur ce projet, la priorité était donnée à la ségrégation des charges. Les process de cacao à l’échelle industrielle sont, quant à eux, continus ou semi-continus. Il n’était pas question de vidanger la ligne entière entre deux charges de certifications différentes car la perte en capacité de production aurait été bien trop grande. Nous avons donc prévu des dépôts-tampons qui permettent d’implémenter une logique de charges séparées sur une ligne continue sans pertes de capacité.

La seconde surprise est apparue lors du développement des recettes. Il m’avait semblé opportun d’appliquer les préceptes de torréfaction d’Afrique de l’Ouest. Sur des fèves d’Amérique Latine, le résultat fut désastreux : l’acidité était telle que ça piquait le nez lors de la dégustation. Mais à force de persévérance, les profils aromatiques désirés ont pu être atteints.

La spécificité de cette usine est qu’elle se trouve au carrefour entre « l’atelier de torréfaction » qui fait de petites charges sur mesure pour les clients et le process industriel de centaines de tonnes par jour. A 25 tonnes, la taille de nos charges représente la capacité d’un container ISO et permet donc d’optimiser la logistique. Comme toutes les charges sont ségrégées, il nous est possible d’adapter notre calendrier de production aux besoins du client et donc d’adresser les besoins d’une clientèle industrielle de type PME. Les connaissances en matière de torréfaction accumulées jusqu’à aujourd’hui nous permettent également d’élaborer des profils de torréfaction sur mesure et puisque notre process est basé sur des usines à grand échelle en production continue nous pouvons offrir une gamme de prix comparable aux grands transformateurs.

Comme Pronatec était le pionnier de l’importation de cacao bio équitable en Suisse à la fin des années 90, l’entreprise a des relations de longue date avec de nombreuses coopératives dans le monde entier. Pronatec exploite également ces propres centres de fermentation et de conditionnement en République Dominicaine, par l’intermédiaire de sa filiale Yacao. C’est une situation unique pour une entreprise de cette taille d’être en mesure de couvrir physiquement la chaîne de valeur depuis la livraison des fèves fraiches jusqu’à la mise à disposition des semi-finis. Cela permet d’éliminer des intermédiaires qui ne créent pas de valeur ajoutée mais également de garantir la qualité de toutes les étapes de transformation. Grace à l’introduction d’un ERP couvrant toutes les étapes depuis l’achat des fèves jusqu’à la vente des semi-finis, la traçabilité est garantie.

Lors de mes débuts auprès de Pronatec AG, l’objectif était clair : démarrer un process neuf consistant en 15 étapes de transformation avec une équipe d’une trentaine de personnes qu’il reste à constituer au sein d’une filiale qui n’existe que sur le papier. La mise en service débutera 18 mois plus tard.

A posteriori, je dirais que peu importe le temps de préparation, cet objectif reste un défi de taille. Grâce à une étroite collaboration au sein de l’équipe de direction et avec l’équipe du projet de construction de l’usine, le process a démarré en mars 2022 et le calendrier de mise en service a été tenu au jour près. Les équipes ont été formées sur le process et le système de production. En conséquence, toutes les charges de cacao qui sont entrées dans l’usine sont ressorties en semi-finis respectant le cahier des charges et le calendrier de livraison. Nous avons même déjà développé des recettes avec nos clients en utilisant leurs propres fèves.

Les prochaines étapes consistent à consolider les acquis et mettre en place le troisième quart cet automne afin de pouvoir atteindre les objectifs de plein rendement en 2023. Désormais, il est possible de trouver de la masse, du beurre et de la poudre de cacao bio équitable en Suisse, produit avec beaucoup de plaisir et d’enthousiasme !

Quels sont, pour vous, les plus grands enjeux du système agro-alimentaire suisse ?

Le système agro-alimentaire suisse doit impérativement tirer les conséquences de ce qui se passe au niveau des marchés de l’énergie. Une ressource abondante peut devenir inaccessible très rapidement. Il devient donc impératif d’augmenter la robustesse des chaines d’approvisionnement en développant des alternatives à moyen terme et peut-être de préparer le consommateur à la fin du tout disponible tout le temps à long terme.

Quel peut-être la contribution du SVIAL au secteur agro-alimentaire ?

Aujourd’hui, le SVIAL organise beaucoup d’activités autour de ce qui a été accompli en Suisse afin de rendre attentif les acteurs au dynamise du secteur agro-alimentaire. Toutefois, il devient de plus en plus urgent de rendre les acteurs attentifs à ce qui doit encore être fait afin de garantir une alimentation saine en quantité suffisante sur le long terme.

Que souhaitez-vous du SVIAL ?

Le dynamisme du secteur agro-alimentaire Suisse est très impressionnant. Mais je serais curieux de savoir ce qui se fait chez nos voisins. Serait-il possible d’organiser des échanges avec des organisations au-delà de nos frontières ?